Apo19.10). Or le peuple de Dieu (le reste, les 144000) observe les commandements de Dieu et a le tĂ©moignage de JĂ©sus ( Et le dragon fut irritĂ© contre la femme, et il sâen alla faire la guerre aux restes de sa postĂ©ritĂ©, Ă ceux qui gardent les commandements de Dieu et qui ont le tĂ©moignage de JĂ©sus. Apo 12.17).
Comment peut-on faire la part entre faute et pĂ©chĂ© ?Ce n'est pas entre ces termes qu'il y a une diffĂ©rence. Mais plutĂŽt entre culpabilitĂ© et pĂ©chĂ©. Quand on parle du pĂ©chĂ©, on parle du mal et Ă la fois de quelque chose quiengage la foi et la relation Ă Dieu. Mais on en n'est pas forcĂ©ment conscient. Je ne suis pas certaine moi-mĂȘme de l'avoir dĂ©terminĂ©. N'oublions pas que dans la foi, il y a toujours une part de responsabilitĂ© dans le bien comme dans le le mensonge, par exemple. Pas celui d'un enfant, bien sĂ»r. Mais parlons plutĂŽt de l'attitude mensongĂšre qui peut ĂȘtre mortifĂšre. Comme la mĂ©chancetĂ©. Quelques paroles suffisent Ă faire du mal, sans que cela soit au premier abord apparent. Dans l'Evangile, JĂ©sus est sĂ©vĂšre avec les pharisiens Mt, 9, 10-13, mais pas avec la femme discerner concrĂštement le moment de se rĂ©concilier ?D'abord, il faut sortir de la contrainte extĂ©rieure. La personne doit avoir besoin de ne pas rester seule avec sa faute. Elle doit ressentir cela comme une nĂ©cessitĂ© intĂ©rieure. Quand le fils prodigue dit "j'irai et je dirai" Luc, 15, 11-32, il demande un geste ou une parole qui le tire de lĂ . Cela renvoie Ă la relation fraternelle. Ces gestes sont liĂ©s au on peut vivre la rĂ©conciliation de diffĂ©rentes façons, au travail, dans le couple, sans pour autant la sĂ©parer de la dĂ©marche sacramentelle. L'unitĂ© de l'expĂ©rience humaine et spirituelle peut se cĂ©lĂ©brer dans le sacrement, mais pas se situe la limite entre le pardon thĂ©rapeutique et le pardon sacramentel ?Au cours d'une thĂ©rapie, on n'avoue pas, on nomme. La thĂ©rapie prĂ©pare l'acte d'assumer la vie qu'on a eu, si l'on s'engage, bien sĂ»r. Mais si on a Ă pardonner ou Ă demander le pardon, c'est une autre dĂ©marche. La responsabilitĂ©, le geste ne font pas partie de la thĂ©rapie. MĂȘme si le courage de faire la vĂ©ritĂ© en soi est dĂ©jĂ un acte spirituel, Ă condition de le dĂźtes "nous sommes sauvĂ©s et pardonnĂ©s avant mĂȘme de nous savoir pĂ©cheurs" 1, pouvez-vous l'expliquer ?C'est ce que dit Paul "Vous ĂȘtes morts et sauvĂ©s par le Christ", Ă©pĂźtre de saint Paul aux Romains, 6, 1-14. Par la cĂ©lĂ©bration du pardon, on se met en disposition de reconnaĂźtre la RĂ©surrection. Elle transforme tout. Le pardon empĂȘche le pĂ©chĂ© d'avoir le dernier mot. Dans ce sens, le pardon est un des noms de la RĂ©surrection. "Vous ĂȘtes et vous serez ressuscitĂ©s avec le Christ", nous dit Paul. C'est une invitation Ă cheminer vers la rite de la rĂ©conciliation se perd. Selon vous, comment Ă©volue le sens de ce sacrement ?Aujourd'hui, le sacrement de rĂ©conciliation s'est vidĂ© de sa gestuelle et de son sens. Nous devons retrouver, rĂ©animer les rites du CarĂȘme sans pour autant en faire des mĂ©canismes. Pour cela, il suffit de peu. C'est comme un repas en famille, qui est un acte quotidien fort. Seulement, nous gardons une certaine timiditĂ© Ă en reconnaĂźtre toute sa plĂ©nitude. Pour moi, la dĂ©marche de rĂ©conciliation est du mĂȘme avenir lui voyez-vous ?Le sacrement de rĂ©conciliation est "la pierre de touche du christianisme" 2. Il n'aura d'avenir que si son sens est vĂ©cu comme une dĂ©marche dans laquelle chacun retrouve son intĂ©gritĂ© intĂ©rieure, son centre de gravitĂ© dans la foi. Attention, il ne s'agit pas de saintetĂ© ! Si chacun prend un chemin de vĂ©ritĂ© vis-Ă -vis de lui-mĂȘme et vis-Ă -vis de Dieu, peut-ĂȘtre apprendrons-nous Ă rĂ©habiter la forme. 1 Page 18, La RĂ©conciliation, Ă©ditions DesclĂ©e de Brouwer 1997. 2 Sous-titre de son ouvrage, La du Charlat, religieuse auxiliatrice, 1997source
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LaBible rĂ©vĂšle que des serviteurs fidĂšles de JĂ©hovah se sont sentis Ă bout de force ( 1 Rois 19:4 ; Job 7:7 ). Cependant, au lieu dâabandonner, ils ont demandĂ© Ă JĂ©hovah de les soutenir. Ils nâont pas Ă©tĂ© déçus, car notre Dieu « donne de la force Ă celui qui est Ă©puisĂ© » ( Is. 40:29 ). Malheureusement, certains pensent que
32Ăšme dimanche du Temps ordinaire 1R 17, 10-16 ; Ps 145 146 ; He 9, 24-28 ; Mc 12, 38-44. Ălie, le grand prophĂšte dans la mĂ©moire dâIsraĂ«l, est vraiment le reprĂ©sentant de Dieu. Lâattitude de la veuve de Sarepta vis-Ă -vis de lui est signe de son attitude vis-Ă -vis de Dieu. Le texte est criant de simplicitĂ©, sans fioritures Je rentre prĂ©parer pour moi et pour mon fils ce qui nous reste. Nous le mangerons, et puis nous mourrons. » La rĂ©ponse ? Nâaie pas peur, va, fais ce que tu as dit ». Et Ălie qui se fait servir en premier comme si de rien nâĂ©tait ! Fais ce que tu as dit. Mais dâabord cuis-moi une petite galette et apporte-la moi ; ensuite tu en feras pour toi et ton fils » ! Mais sa parole est la Parole de Dieu, la veuve la croit Et la jarre de farine ne sâĂ©puisa pas, et le vase dâhuile ne se vida pas, ainsi que le Seigneur lâavait annoncĂ© ». Texte de confiance en Dieu, de foi en lui. Dieu ne nous abandonne pas dans la dĂ©rĂ©liction la plus extrĂȘme pourvu que nous comptions sur sa Parole, mĂȘme quand tout semble perdu. Texte pour nous, maintenant, dans notre Ăglise en passe de disparaĂźtre⊠de plus par sa faute ! Nous pouvons alors chanter le psaume qui rappelle le Magnificat Il comble de bien les affamĂ©s, renvoie les riches les mains vides ». Câest de tous les pauvres, les exclus, ceux qui ne sont pas dans lâinstallation les Ă©trangers par exemple que Dieu prend soin. Les autres, il nous en prĂ©serve Il Ă©gare les pas du mĂ©chant ». Question de quel bord sommes nous ? De celui des riches, des installĂ©s qui nâont plus rien Ă demander, ou des affamĂ©s ? AffamĂ©s de quoi ? Sans oublier ceux qui ont faim, trĂšs concrĂštement, et qui ne sont pas loin de nous, mĂȘme quand nous savons ne pas les voir. On peut consulter le dernier rapport sur la pauvretĂ© du collectif Alerte PACA il est Ă©difiant. Au cours de lâhistoire dâIsraĂ«l, tout Ă©tait sans cesse Ă reprendre. Dieu donne Ă ceux qui ont la foi, mais le peuple doit avancer pour comprendre cette bontĂ© de Dieu, par ses sacrifices rĂ©pĂ©tĂ©s il essaye de se rapprocher de son Seigneur. Il attend le Messie qui va enfin le sauver, recrĂ©er ce monde en un lieu oĂč coulent le lait et le miel ». Les prophĂštes, tel Ălie, sont lĂ pour guider le peuple sur cette route du salut, les prĂȘtres pour tenter de maintenir, par les sacrifices, le lien tĂ©nu qui le lie Ă YahvĂ©. Le Christ, par son sacrifice rendre sacrĂ© », câest-Ă -dire remettre Ă Dieu » a remis lâhumanitĂ© entre les mains du PĂšre. La croix-rĂ©surrection marque un point de non-retour. Câest une fois pour toutes, Ă la fin des temps, quâil sâest manifestĂ© pour dĂ©truire le pĂ©chĂ© par son sacrifice ». Les multiples sacrifices sont devenus inutiles, on est rentrĂ© dans les temps nouveaux, le temps oĂč lâEsprit est donnĂ© aux hommes pour vivre de lâamour de Dieu. On est passĂ© de lâĂšre du pĂ©chĂ©, de la coupure dâavec Dieu, Ă lâĂšre de la grĂące et du salut Il apparaĂźtra une seconde fois, non plus Ă cause du pĂ©chĂ©, mais pour le salut de ceux qui lâattendent ». Le don que YahvĂ© faisait aux hommes en les comblant de ses bienfaits, comme envers la veuve de Sarepta, est maintenant un don Ă©ternel, câest-Ă -dire non liĂ© au temps, un don qui nous fait vivre totalement dans notre Ă©tat de fils de Dieu dans lequel le Christ nous a fait entrer. LâĂ©vangile, en Ă©voquant cette veuve pauvre, comme celle de Sarepta, rappelle le geste de la premiĂšre qui, dans lâindigence totale, a donnĂ© Ă Ălie tout ce qui lui restait. La question est dans ce monde nouveau inaugurĂ© par la croix qui est lâunique sacrifice, est-ce que nous avons assez de foi pour tout donner, au-delĂ de notre superflu ? Dit diffĂ©remment nous contentons-nous de la pratique de notre religion, pratique sĂ©rieuse, en faisant ce quâil faut », en continuant Ă sacrifier » Ă la petite semaine, ou voulons-nous sortir de notre confort, de notre installation, pour suivre JĂ©sus dans ce monde nouveau ? Sommes-nous disposĂ©s Ă ĂȘtre secouĂ©s par son appel sans savoir ce qui adviendra ? Notre rĂ©ponse nous engage, elle nâest pas Ă©vidente... Marc Durand
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Et Dieu crĂ©a la femme Re-lecture talmudique Ă propos de la lecture talmudique dâEmmanuel LĂ©vinas Et Dieu crĂ©a la femme » JĂ©rĂŽme Benarroch RĂ©sumĂ© Emmanuel LĂ©vinas a jouĂ© un rĂŽle trĂšs important pour faire dĂ©couvrir au monde intellectuel et philosophique quâexiste une vĂ©ritable pensĂ©e thĂ©orique dans les textes talmudiques. Mais comme il lâavoue lui-mĂȘme, câest en amateur quâil aborde ces textes1. Par lĂ mĂȘme, sans le vouloir, il y retrouve Ă©tonnamment des Ă©lĂ©ments fondamentaux de sa propre philosophie. Mais de ce fait, aux yeux dâun public non averti, la pensĂ©e talmudique et la pensĂ©e lĂ©vinassienne apparaissent presque comme une seule et mĂȘme entitĂ©, au point que lâon cherche parfois la pensĂ©e de LĂ©vinas dans le Talmud ou dans la Bible ! Ă travers cette relecture talmudique », nous voudrions montrer quâil faut savoir distinguer la pensĂ©e propre de ce grand philosophe de lâenseignement des Sages du Talmud et ne pas les confondre. Sâil y a chez ces derniers une pensĂ©e thĂ©orique, la comprĂ©hension et la réélaboration conceptuelle de leur pensĂ©e sont complexes et exigent un investissement entier et quasi exclusif â jour et nuit », dit le verset de JosuĂ© 1, 8, pour ne pas tâen Ă©carter, ni Ă droite ni Ă gauche ». Abstract Emmanuel Levinas played a pivotal role in his effort to make the intellectual and philosophical world see that true theoretical thought can be found in Talmudic texts. But as he himself admits, it is as an amateur that he approaches these texts2. Thus, without seeking it, he surprisingly finds in these texts fundamental elements of his own philosophy. Hence, in the eyes of an uninformed public, Talmudic thought and Levinasian thought appear practically as one and the same entity, so much so that we sometimes try to find Levinasâs thought in the Talmud or in the Bible! Through its âTalmudic re-reading,â this paper aims to show that it is necessary to know how to distinguish the actual thought of this great philosopher from the teachings of the Sages of the Talmud and not confuse them. If, indeed, theoretical thought exists in the teachings of the Sages, the comprehension and the conceptual re-elaboration of their thought are complex and require total and almost exclusive attention â âday and nightâ says the verse from Joshua 1, 8, in order ânot to turn from it to the right or to the left.â 1 LĂ©vinas procĂšde presque systĂ©matiquement, en prĂ©ambule Ă ses lectures talmudiques, Ă des aveux habituels de faiblesse » LĂ©vinas Emmanuel, Du sacrĂ© au saint, Paris, Minuit, 1977, p. 126. Cf. notamment LĂ©vinas E., Quatre lectures talmudiques, Paris, Minuit, 1968, p. 31-32, oĂč il parle du commentaire talmudique comme dâ une tĂąche oĂč je ne mâĂ©vertue quâen amateur » et oĂč il prĂ©cise [âŠ] en me prĂ©sentant ainsi je ne me livre pas Ă une manifestation de fausse modestie. » 2 In his foreword to the Talmudic Lectures, LĂ©vinas almost systematically refers to his âaveux habituels de faiblesseâ LĂ©vinas Emmanuel, Du sacrĂ© au saint, Paris, Minuit, 1977, Cf. specifically LĂ©vinas E., Quatre lectures talmudiques, Paris, Minuit, 1968, where he refers to Talmudic commentary as âune tĂąche oĂč je ne mâĂ©vertue quâen amateurâ and adds â[âŠ] en me prĂ©sentant ainsi je ne me livre pas Ă une manifestation de fausse modestie.â Dans un article publiĂ© en 1977 dans Du sacrĂ© au saint et intitulĂ© Et Dieu crĂ©a la femme »3, Emmanuel LĂ©vinas propose une interprĂ©tation dâun passage talmudique tirĂ© du TraitĂ© Berakhot 61a, traitant de la crĂ©ation de la femme. Nous nous proposons dâanalyser cette lecture qui, Ă la fois, montre lâoriginalitĂ© et lâimportance de ce grand philosophe qui a su, sur un plan thĂ©orique, prendre au sĂ©rieux les enseignements de nos Sages et dĂ©gager de leurs propos souvent obscurs ou mĂ©taphoriques une authentique profondeur conceptuelle, mais qui rĂ©vĂšle aussi une certaine extĂ©rioritĂ©, source de malentendus. Ă cet effet, nous tĂącherons, dans un premier temps, de rendre compte des thĂšses majeures de son analyse. Dans un deuxiĂšme temps, nous formulerons certaines objections Ă celles-ci ; enfin, nous envisagerons une autre voie dâĂ©tude, plus fidĂšle, Ă notre sens, Ă la pensĂ©e talmudique. Pour ne pas alourdir notre propos, nous ne citons pas dans son entier le passage commentĂ© ; il figure en tĂȘte de lâarticle dâEmmanuel LĂ©vinas. I. PrĂ©sentation du sujet Lâenjeu premier de ce passage talmudique est dâexposer un dĂ©bat » entre deux AmoraĂŻm de la premiĂšre gĂ©nĂ©ration, Rav et Shmouel, ayant trait au rĂ©cit biblique de la crĂ©ation de la femme. Lâun des deux â sans que lâon sache lequel â Ă©nonce que ce que le texte biblique appelle cĂŽtĂ© de lâhomme »4, dâoĂč a Ă©tĂ© bĂątie la femme, Ă©tait un visage », tandis que lâautre dit que câĂ©tait une queue ». Une fois les termes de la controverse posĂ©s, la Guemara5 sâattache Ă Ă©prouver chacune des deux versions, pour en Ă©tablir la lĂ©gitimitĂ©. Pour ce faire, elle procĂšde en opposant Ă chacune des deux thĂšses diffĂ©rents versets bibliques qui semblent Ă chaque fois contredire les thĂšses en question. Ainsi plusieurs objections sont-elles tout dâabord formulĂ©es Ă lâencontre de celui qui pense quâil sâagissait dâune queue » ; et la Guemara apporte une rĂ©ponse Ă chacune de ces objections, ce qui permet de confirmer que le texte biblique supporte, dans son dĂ©tail, une telle interprĂ©tation. La Guemara inverse alors le questionnement et, Ă lâaide dâun autre verset, avance une objection Ă lâencontre de la lecture qui, dans le cĂŽtĂ© », voit un visage », objection Ă laquelle il est Ă©galement rĂ©pondu. En fin de discussion, il nâest pas explicitement dit quelle est la version la plus vraisemblable, la plus justifiĂ©e en termes de preuves textuelles, car il sâagit lĂ dâun vĂ©ritable dĂ©bat », au sens oĂč chaque option est soutenable. On comprend donc que les deux contradicteurs progressent chacun selon sa voie dans les diffĂ©rents versets, et ce, non seulement pour permettre une indispensable compossibilitĂ© des versets » mais, comme le suggĂšre E. LĂ©vinas, pour Ă©laborer un enchaĂźnement dâidĂ©es dans ses multiples possibilitĂ©s » NĂ©anmoins, il faut noter quâĂ la lecture dâun autre passage talmudique, dans le TraitĂ© Ketouvot 8a, on peut Ă©tablir que lâoption du visage », qui signifie que lâhomme et la femme ont Ă©tĂ© créés en un temps unique, dos Ă dos, câest-Ă -dire sous la forme dâun ĂȘtre androgyne Ă deux visages, est lâoption retenue par la Guemara6. Ceci ne sous-entend toutefois pas que ce 3 LĂ©vinas E., Et Dieu crĂ©a la femme », Du sacrĂ© au saint, op. cit., p. 125-148. 4 GenĂšse 2, 22. 5 Guemara commentaire de la Michna par les AmoraĂŻtes, qui succĂ©dĂšrent aux TanaĂŻtes, maĂźtres de la Michna IIIe-VIIe siĂšcle. Lâensemble Michna et Guemara forme le Talmud 6 Il existe en effet un autre dĂ©bat, concernant le nombre de bĂ©nĂ©dictions Ă prononcer lors dâun mariage certains disent cinq, dâautres six. La Guemara suppose au dĂ©part que ce dĂ©bat correspond Ă notre dĂ©bat, celui qui pense cinq » Ă©tant en fait celui qui dit que lâhomme et la femme ont Ă©tĂ© créés en une fois sous forme de deux visages », et celui qui pense six » rajoutant une bĂ©nĂ©diction car il penserait quâil y a eu deux temps dans la crĂ©ation humaine, un premier sous la forme dâun homme avec une queue » et un second temps correspondant Ă la crĂ©ation de la femme en tant que telle, justement Ă partir de la queue ». Mais la Guemara revient de cette premiĂšre hypothĂšse et dĂ©clare que tous pensent quâil nây eut quâune seule crĂ©ation », ce qui soit lĂ la vraie » version, ni la plus aboutie â car dans un dĂ©bat » talmudique, chacune des diffĂ©rentes options a et conserve toujours sa part de nĂ©cessitĂ© â mais simplement que, au moins en ce qui concerne ici les bĂ©nĂ©dictions du mariage â thĂšme de la guemara Ketouvot 8a â les Sages ont estimĂ© que lâoption du visage » Ă©tait la plus adĂ©quate. Cela pour indiquer Ă quel point on doit prendre garde de ne pas privilĂ©gier sans justification une option plutĂŽt quâune autre dans un dĂ©bat » talmudique ; il sâagit plutĂŽt de retrouver la mesure de la divergence et saisir la logique propre de chacune des voies en jeu. Ainsi, dans ce passage de Berakhot 61a, les deux options apparaissent en fin de compte aussi praticables lâune que lâautre. Par consĂ©quent, au niveau des principes et de leur lĂ©gitimitĂ© au regard du texte biblique, elles devront ĂȘtre envisagĂ©es comme deux explications suffisantes et peut-ĂȘtre complĂ©mentaires du sujet de la crĂ©ation de la femme. Or, quel est le problĂšme que soulĂšve ce sujet » ? RĂ©pondre Ă cette question oblige Ă rĂ©pondre dâemblĂ©e Ă la question de la pertinence du texte biblique qui, dans son Ă©trange densitĂ© signifiante, Ă©labore des solutions Ă des problĂšmes thĂ©oriques et pratiques. Car ce que le texte biblique pense » nâest pas explicite. Il contraint plutĂŽt Ă penser, mais sans livrer » les idĂ©es sur un mode philosophique. Sâil est donc Ă©vident pour nous que le texte de la Tora nâest pas un texte historico-anthropologique mais vient Ă la fois formuler des problĂ©matiques thĂ©oriques et enseigner les consĂ©quences pratiques de ces Ă©laborations, il nous faut comprendre pourquoi la relation entre lâhomme et la femme y est prĂ©sentĂ©e sous la forme de cette crĂ©ation » et pourquoi cette crĂ©ation revĂȘt une allure mythologique. Notre hypothĂšse est que la Tora conjoint, unifie dans sa formulation singuliĂšre ce qui est par ailleurs sĂ©parable lâapproche thĂ©orique, lâapproche de lâexigence pratique et lâapproche sensible. Notre but nâest pas ici de dĂ©velopper cet enjeu mais de rappeler que le texte biblique a toujours un aspect normatif, pratique, qui doit ĂȘtre pris en considĂ©ration dans toute rĂ©flexion sur son sens7. Nous verrons quâE. LĂ©vinas, dans sa lecture du Talmud, nĂ©glige cet aspect. Remarquons en outre que le Talmud tend Ă se superposer au texte biblique, en cela quâil rĂ©utilise son style singulier, imagĂ© ». En effet, lui non plus nâĂ©labore pas le sens philosophique » de ses choix dâexposition mais, lĂ encore, oblige celui qui Ă©tudie Ă formuler des justifications pour rendre sensĂ©es et dĂ©terminĂ©es les idĂ©es et exigences pourtant sousjacentes. Les deux propositions Ă©laborĂ©es par les Sages â la femme créée Ă partir dâun deuxiĂšme visage » ou bien de la queue » de lâhomme â ne sont pas immĂ©diatement formulĂ©es dans un langage thĂ©orique parce que le propos est tout Ă la fois et indissociablement thĂ©orique, pratique et sensible. E. LĂ©vinas sâefforce pour sa part, et Ă raison, de dĂ©gager dans son article une possible signification thĂ©orique de ces motifs ». Il envisage donc le problĂšme en termes de pensĂ©e », de conception des choses â ici, la conception du rapport entre lâhomme et la femme. Mais lâenjeu ne semble ĂȘtre pour lui ni pratique8, ni esthĂ©tique, ni sensible. Il va donc signifie, dâaprĂšs le commentaire de Rachi, que tous les Sages participant Ă ce dĂ©bat admettent que lâhomme et la femme furent créés en une seule fois, donc sous forme androgyne, les deux visages » dos Ă dos. La Guemara nâobjectant rien Ă cette explication, on est amenĂ© Ă penser que lâoption visage » est celle que les Sages retiennent. Mais ce point demande Ă ĂȘtre approfondi. En tout cas, nous voulons ici montrer que la confrontation de diffĂ©rents passages talmudiques traitant dâun mĂȘme sujet est essentielle pour comprendre le sens dâune controverse â câest lĂ une des rĂšgles de base de lâĂ©tude talmudique. 7 On doit sur ce point se reporter au premier commentaire biblique de Rachi sur Au commencement ». Il affirme La Tora aurait dĂ» commencer par le premier commandement donnĂ© Ă IsraĂ«l. » Le sens premier » du texte biblique est donc immĂ©diatement mis en relation avec le commandement », câest-Ă -dire lâimpĂ©ratif pratique. 8 Ainsi, dans son avant-propos Ă Du sacrĂ© au saint, LĂ©vinas dĂ©clare avoir Ă©tĂ© moins appelĂ© que lâĂ©tude traditionnelle vers les dĂ©cisions pratiquesâ dĂ©coulant de la Loi » op. cit., Pourtant, les dĂ©cisions pratiques » ne sont pas une simple mesure de piĂ©tĂ© sans importance, que lâon pourrait disjoindre du spĂ©culatif. Leur visĂ©e permet de lire les textes en tant quâĂ©noncĂ©s ou parole et non en tant que discours opposer deux conceptions » de ce quâil est convenu dâappeler, dans lâunivers intellectuel contemporain, la diffĂ©rence sexuelle. II. La lecture dâEmmanuel LĂ©vinas Comment LĂ©vinas comprend-il le dĂ©bat » ? Nous exposerons ici ce qui nous apparaĂźt comme lâessentiel de son dĂ©veloppement, sans entrer dans tous les dĂ©tails de son analyse, qui appelleraient cependant de nombreuses remarques. Sa premiĂšre thĂšse est que Rav et Shmouel conçoivent l'un et l'autre la femme comme faisant partie de lâhumain » tout autant que lâhomme. Câest-Ă -dire quâelle nâest pas simplement selon eux la femelle de lâhomme », un ĂȘtre vivant, certes, mais dâune vie dont la fonction se limiterait [jâenlĂšve valeur » ici car vous en parlez un peu plus loin dans la mĂȘme phrase]Ă la capacitĂ© reproductrice animale ou Ă la satisfaction des dĂ©sirs, et dont la valeur humaine serait donc moindre. Câest la thĂšse Ă©galitariste fondamentale. LĂ rĂ©siderait mĂȘme, selon LĂ©vinas, lâenjeu central du rĂ©cit de cette Ă©trange crĂ©ation de la femme en tant que prise et construite de lâhomme », ce quâil faudrait entendre au sens de prise de lâhumanitĂ© mĂȘme ». Cette thĂšse est en partie paradoxale car a priori on aurait au contraire pu comprendre que la femme, du fait de sa crĂ©ation seconde, soit prĂ©cisĂ©ment considĂ©rĂ©e comme un ĂȘtre infĂ©rieur, de second ordre. DâoĂč lâinsistance dâE. LĂ©vinas sur ce point les deux options en dĂ©bat â visage » ou queue » â affirment une Ă©galitĂ© de valeur de l'homme et de la femme. Le fait que la crĂ©ation de la femme apparaisse comme seconde ne peut signifier qu'elle soit ontologiquement secondaire ou infĂ©rieure. Le Talmud et la Tora ne sont pas misogynes⊠La controverse entre les deux Sages se situe donc sur un autre plan. Lequel ? NĂ©cessairement, au niveau de la valeur de la distinction entre masculin et fĂ©minin. Celui qui pense que la femme a Ă©tĂ© bĂątie »9 Ă partir dâun visage » pense non seulement lâĂ©galitĂ© de dignitĂ© entre lâhomme et la femme, comme nous venons de le voir, mais aussi que la distinction en masculin et fĂ©minin appartient au contenu essentiel de lâHumain »10, au sens oĂč tous les rapports qui les rattach[Ăšr]ent lâun Ă lâautre sont dâĂ©gale dignitĂ© »11. Mais, dâemblĂ©e, une difficultĂ© surgit dans cette explication. En effet, et sans aller trop loin dans lâanalyse, il apparaĂźt que LĂ©vinas assimile ici la diffĂ©rence de l'homme et de la femme Ă celle du masculin et du fĂ©minin, pour dĂ©clarer que cette premiĂšre lecture â un visage » â Ă©tablit en tant que telle lâidĂ©e de lâĂ©galitĂ© entre lâhomme et la femme, sous tous leurs rapports. Que vient nous apprendre lâidĂ©e que la femme aurait Ă©tĂ© construite Ă partir dâun visage », en plus du fait quâelle a Ă©tĂ© prise de lâhomme, câest-Ă -dire ici de lâhumain ? Seulement ceci que lâĂ©galitĂ© de dignitĂ© est parfaite, ce qui nâĂ©tait pas Ă©vident dans le texte biblique qui Ă©nonçait simplement qu'elle fut prise du cĂŽtĂ© de lâhomme », ce qui aurait pu laisser entendre qu'elle Ă©tait ontologiquement secondaire. La leçon du visage » serait donc choisie pour parer Ă une mauvaise lecture, une lecture immĂ©diate dĂ©gradante pour la femme ; mais elle nâapporterait aucun nouvel Ă©lĂ©ment de comprĂ©hension, en particulier au niveau du rapport entre masculin et fĂ©minin, comme cela aurait pourtant dĂ» ĂȘtre le cas pour rendre compte des deux enseignements la femme tirĂ©e de lâhomme, et tirĂ©e en tant que deuxiĂšme visage. Ainsi, lâidĂ©e pourtant Ă©voquĂ©e par LĂ©vinas du masculin et du fĂ©minin comme distinction essentielle de lâHumain » nâest pas Ă©laborĂ©e plus avant. Plus loin dans son article, reprenant le motif du visage », il nâinsiste pas sur cette possibilitĂ© qui, dâaprĂšs sa logique mĂȘme, aurait Ă©tĂ© lâidĂ©e essentielle de celui qui dit visage ». Or, comme on va le voir Ă propos de la deuxiĂšme option, ceci aurait justement pu constituer un vĂ©ritable enjeu de dĂ©bat entre les deux parties. mythique sur des essences. 9 En hĂ©breu bonĂ© » â construite, bĂątie câest le terme employĂ© dans le verset de GenĂšse 2, 22. 10 LĂ©vinas E., Du sacrĂ© au saint, op. cit., p. 134. 11 Ibid., p. 134. Mais lorsque celui qui pense visage » doit rĂ©pondre Ă lâobjection du verset qui indique la construction » de la femme prĂ©cision inutile de son point de vue puisque la femme Ă©tait dĂ©jĂ lĂ , sous la forme dâun autre visage, dans le dos de lâhomme, la Guemara, aidĂ©e par Rav âHisda, rĂ©pond que le CrĂ©ateur lâa construite comme un Ă©difice » capable de recevoir adĂ©quatement les enfants, car en effet la femme nâapparaĂźt pas seulement comme visage fĂ©minin mais comme un corps spĂ©cifique que le CrĂ©ateur a dĂ» façonner comme un silo Ă grains, Ă©troit en haut en large vers le bas »12, pour ne pas que la charge Ă porter â la rĂ©colte ou lâenfant â soit trop pesante sur les parois. E. LĂ©vinas commente cette rĂ©ponse en disant Au-delĂ de la sexualitĂ©, gestation dâun ĂȘtre nouveau ! le rapport avec autrui par le fils⊠»13 Son prĂ©supposĂ© apparaĂźt alors clairement le masculin et le fĂ©minin recouvriraient la notion triviale de sexualitĂ©, câest-Ă -dire lâĂ©rotique, ou lâaspect infra humain de la relation homme-femme, qui serait dĂ©passĂ© par la noblesse de la gestation. Pour le dire de façon abrupte, LĂ©vinas adopte ici la vision chrĂ©tienne de la sexualitĂ©, selon laquelle le rapport masculin-fĂ©minin est constitutivement entachĂ© dâune forme de bassesse. Par consĂ©quent, celui qui pense visage » nâenvisagerait en fait pas la distinction masculin-fĂ©minin comme une distinction essentielle, car celle-ci, se rĂ©duisant Ă la sexualitĂ©, serait Ă dĂ©passer dans une humanitĂ© authentique, câest-Ă -dire dans le rapport Ă autrui. La suite de lâinterprĂ©tation dâE. LĂ©vinas vient confirmer cette constatation. La majeure partie de son article est centrĂ©e sur la deuxiĂšme option, qui conçoit la femme comme créée Ă partir de la queue ». Ceci est dĂ» en partie Ă une raison contingente, le passage talmudique choisi Ă©tant centrĂ© principalement autour des objections Ă lâencontre de cette version et des rĂ©ponses visant Ă la justifier. Mais plus essentiellement, cette version offre lâoccasion dâĂ©laborer plus en profondeur l'interprĂ©tation selon laquelle la diffĂ©rence sexuelle, entendue comme Ă©rotique, est secondaire dans lâordre de lâhumain â ceci constitue la deuxiĂšme thĂšse fondamentale dâEmmanuel LĂ©vinas. Le ressort de cette deuxiĂšme thĂšse est le suivant la queue », propose-t-il dâentendre, nâest quâ un appendice corporel, câest-Ă -dire une articulation mineure de lâhomme »14. Par consĂ©quent, le fait que la femme, en tant que sexuellement distincte de lâhomme, ait Ă©tĂ© créée justement Ă partir de cet appendice secondaire et particuliĂšrement bas, signifie que la distinction sexuelle comme telle est secondaire, car elle ne vient que de cet aspect Ă la fois secondaire et dĂ©gradĂ© de lâhumain. Ce nâest pas la femme qui est secondaire ; câest la relation avec la femme qui est secondaire ; câest la relation avec la femme en tant que femme, qui nâappartient pas au plan primordial de lâhumain. Au premier plan sont des tĂąches quâaccomplissent lâhomme comme ĂȘtre humain et la femme comme ĂȘtre humain. Ils ont autre chose Ă faire quâĂ roucouler et, Ă plus forte raison, autre chose et plus Ă faire quâĂ se limiter aux relations qui sâĂ©tablissent Ă cause de la diffĂ©rence entre sexes. [âŠ] Je pense au dernier chapitre des Proverbes, Ă la femme qui y est glorifiĂ©e ; elle rend possible la vie des hommes, elle est la maison des hommes ; mais lâĂ©poux a une vie en dehors de la maison, il siĂšge dans le Conseil de la citĂ©, il a une vie publique, il est au service de lâuniversel, il ne se limite pas Ă lâintĂ©rioritĂ©, Ă lâintimitĂ©, Ă la demeure, sans laquelle cependant il ne pourrait rien. »15 Quelle est cette vie de lâuniversel ? LĂ©vinas le dit plus loin, et câest une idĂ©e centrale de son Ćuvre philosophique, censĂ©e se raccrocher ici Ă la thĂšse de celui qui pense la queue » la responsabilitĂ© de lâhomme pour tous les autresâ »16. Et E. LĂ©vinas de souligner le lien Elle [LâinterprĂ©tation de Rav Ami] sâaccorde parfaitement avec la thĂšse qui affirme la naissance de la femme, dans sa particularitĂ© sexuelle, Ă partir dâune articulation mineure de lâhomme ou de lâhumain. Dans la 12 Câest lâexplication retenue par Rachi sur le verset de GenĂšse 2, 22. 13 LĂ©vinas E., Du sacrĂ© au saint, op. cit., p. 144 nous soulignons. 14 Ibid., p. 136-137. 15 Ibid., p. 135. 16 Ibid., p. 136. relation avec autrui, la proposition avecâ vire en proposition pourâ. Je suis avec les autresâ signifie je suis pour les autresâ responsable dâautrui. Ici, le fĂ©minin comme tel nâest que secondaire. La femme et lâhomme, en humanitĂ© authentique, collaborent comme des responsables. Le sexuel nâest que lâaccessoire de lâhumain. »17 Ainsi lâhumanitĂ© authentique se situe-t-elle par delĂ la relation masculin-fĂ©minin, dâemblĂ©e envisagĂ©e comme relation sexuelle, Ă©rotico-pulsionnelle, narcissico-libidinale ou, au mieux, sentimentale, telle quâelle peut ĂȘtre sublimĂ©e par la poĂ©sie ou la littĂ©rature. Lâ esprit » en tant que tel, dit LĂ©vinas, est ailleurs dans la moralitĂ© ou, plus radicalement, dans la responsabilitĂ© pour autrui, lâautre homme, lâhumain â asexuĂ©, donc. Deux Ă©lĂ©ments sont Ă retenir. PremiĂšrement, LĂ©vinas rĂ©investit sa propre philosophie dans cette proposition de comprĂ©hension de la relation homme-femme Ă partir de lâidĂ©e dâune diffĂ©rence sexuelle en soi secondaire. DeuxiĂšmement, la vie publique ou le rapport Ă autrui au sens large est dĂšs lors survalorisĂ© au sein des relations humaines, comme Ă©tant seul porteur dâuniversalitĂ©. Cette comprĂ©hension sâaccorderait de plus avec la maniĂšre dont Rav Ami lit le verset 5 du psaume 139, invoquĂ© en tant quâobjection contre celui qui dit queue » De lâarriĂšre et du devant Tu mâas façonnĂ©, et Tu poses sur moi Ta main. »18 Celui-ci lâentend de maniĂšre totalement diffĂ©rente de celui qui dit visage » car par Ă lâarriĂšre », il comprend le dernier créé », et par devant », le premier Ă ĂȘtre puni ». Pour E. LĂ©vinas, ceci indique bien que lâon veut prĂ©senter lâhumain comme celui dont la responsabilitĂ© envers lâautre est totale, illimitĂ©e, câest-Ă -dire mĂȘme au-delĂ de ses actes libres »19. Or, que signifie cette responsabilitĂ© au-delĂ de ses actes libres » dans ce contexte ? LâidĂ©e est censĂ©e provenir du passage de la Guemara qui cherche Ă dĂ©terminer dâoĂč Rav Ami apprend que lâhomme est chĂątiĂ© avant le reste du monde. câest le sens de lâexpression premier Ă ĂȘtre puni ». La Guemara comprend quâil sâagit de lâĂ©pisode biblique du DĂ©luge » car il y est Ă©crit en GenĂšse 7, 23 Dieu effaça toutes les crĂ©atures qui Ă©taient sur la face de la terre depuis lâhomme jusquâĂ lâanimal [âŠ] ». Il semble donc que lâhomme reçoive le chĂątiment du CrĂ©ateur avant les animaux, ce qui serait le sens du avant » ou devant », ou en premier » â câest le mĂȘme mot en hĂ©breu dans le verset du psaume 139. LĂ©vinas commente De cet univers perverti, lâhomme rĂ©pond en premier. Cette humanitĂ© est dĂ©finie, non par la libertĂ© â sait-on si le Mal commença par lâhomme ? â mais par la responsabilitĂ© antĂ©rieure Ă toute initiative. Lâhomme rĂ©pond au-delĂ de ses actes libres. Il est otage de lâunivers. DignitĂ© extraordinaire. ResponsabilitĂ© illimitĂ©e⊠»20 Plusieurs remarques seraient ici nĂ©cessaires. LĂ©vinas semble vouloir dĂ©duire de cet Ă©pisode du DĂ©luge » que lâhomme, bien quâil ne soit pas en acte le premier responsable de la dĂ©gradation morale et des mĆurs de lâunivers, en assumerait nĂ©anmoins toute la charge. Cela signifierait une responsabilitĂ© au-delĂ de la stricte justice, preuve de sa dignitĂ© extraordinaire ». Cette dĂ©duction, dans ce contexte, paraĂźt nĂ©anmoins hĂątive. Ne sait-on pas en effet que prĂ©cisĂ©ment, câest bien lâhomme qui fauta et fit fauter toute la terre avant le DĂ©luge » ?21 Aussi, mĂȘme si lâhomme Ă©tait sĂ»r de pouvoir supporter une responsabilitĂ© dite illimitĂ©e, ou mĂȘme de devoir la supporter, cette notion paraĂźt difficilement lisible dans lâĂ©pisode du DĂ©luge. En effet, si les justes, au niveau individuel, sont capables dâassumer une 17 Ibid., p. 136-137. 18 Pour celui qui dit visage », ce verset est trĂšs clair et va dans son sens. Il indique quâil y a eu une crĂ©ation primordiale sous une forme double un avant » et un arriĂšre », ce qui serait une allusion directe aux deux visages » de lâhomme et de la femme. 19 LĂ©vinas E., Du sacrĂ© au saint, op. cit., p. 139. 20 Ibid., p. 139. 21 Cf. Ă ce propos lâenseignement de Rabbi Yoâhanan dans le TraitĂ© SanhĂ©drin 108a Toute chair corrompait sa voie » â câest-Ă -dire quâils accouplaient les animaux domestiques aux animaux sauvages, et lâhomme avec les animaux. responsabilitĂ© au-delĂ de leur libertĂ© propre, en tant quâils peuvent porter la faute de leur prochain22, lâidĂ©e vaut difficilement pour lâhumanitĂ© dans son ensemble, dans son rapport avec les animaux ou les Ă©lĂ©ments physiques, car au niveau de lâHistoire, le seul vĂ©ritable protagoniste est lâhomme. Et celui-ci nâa donc pas Ă porter une quelconque faute des animaux ou de la terre en plus de la sienne, car tout dĂ©pend effectivement de lui. Quâil ait Ă©tĂ© créé en dernier » indique quâil est le but de la CrĂ©ation. Quâil soit chĂątiĂ© en premier » indique quâil est le seul vĂ©ritable acteur et responsable de lâĂ©tat moral du monde, au sens oĂč le reste nâest que le miroir de son comportement et le corollaire de sa dĂ©gradation. Une objection dĂ©cisive est alors adressĂ©e Ă lâencontre de celui qui pense que la femme fut tirĂ©e de la queue » de lâhomme. Voici le passage de la Guemara Cela va bien pour celui qui dit visage car il est dit mĂąle et femelle Il les crĂ©aâ GenĂšse 5, 2. Comment celui qui dit queue lit-il ce verset ? Il le lit comme Rabbi Abahou car Rabbi Abahou a exposĂ© une contradiction. Il est Ă©crit dâun cĂŽtĂ© mĂąle et femelle Il les crĂ©aâ GenĂšse 5, 2 et il est aussi Ă©crit car Ă lâimage du Souverain Il a fait lâhommeâ GenĂšse 9, 6. Comment est-ce possible ? Au dĂ©but Il eut lâidĂ©e de les crĂ©er deux, mais Ă la fin Il le crĂ©a unique. »23 E. LĂ©vinas propose une interprĂ©tation de cette rĂ©ponse qui constitue sa troisiĂšme grande thĂšse. La difficultĂ© conceptuelle est de concilier trois aspects premiĂšrement, la distinction sexuelle pensĂ©e comme secondaire par rapport Ă lâhumanitĂ© des ĂȘtres ; deuxiĂšmement, une certaine prééminence de lâhomme, ou du masculin, constatĂ©e par le fait de la crĂ©ation originelle de lâhomme seul ; enfin, lâidĂ©e dâune pensĂ©e premiĂšre du CrĂ©ateur de crĂ©er lâhomme et la femme ensemble. Premier temps de la rĂ©ponse Il a voulu deux ĂȘtres. Il a voulu en effet quâil y eĂ»t dâemblĂ©e Ă©galitĂ© dans la crĂ©ature et quâil nây eĂ»t pas de femme sortie de lâhomme, de femme qui passĂąt aprĂšs lâhomme. »24 LâidĂ©e de pensĂ©e premiĂšre du CrĂ©ateur vient donc affirmer lâidĂ©al dâĂ©galitĂ© entre lâhomme et la femme. Mais, continue LĂ©vinas, cela nâĂ©tait pas tenable [âŠ] cette indĂ©pendance initiale des ĂȘtres Ă©gaux aurait Ă©tĂ© probablement la guerre. Il fallait procĂ©der non pas en stricte justice, qui, elle, exige en effet deux ĂȘtres sĂ©parĂ©s ; il fallait, pour crĂ©er un monde, quâil les eĂ»t subordonnĂ©s lâun Ă lâautre. »25 Nous comprenons que la crĂ©ation originelle du Deux nâaurait pas permis une entente satisfaisante entre les hommes et les femmes, car cette Ă©galitĂ© de fait les aurait Ă©loignĂ©s lâun de lâautre, chacun ayant les ressources suffisantes pour assumer leur sĂ©paration. Cette Ă©galitĂ© naturelle aurait engendrĂ© une confrontation horizontale trop symĂ©trique dont le rĂ©sultat aurait Ă©tĂ© en contradiction avec le but de leur crĂ©ation. Car si le but est lâĂ©galitĂ©, il faut quâelle puisse ĂȘtre une Ă©galitĂ© unifiante ou, du moins, qui dĂ©coule dâune relation soutenue et la prĂ©serve. DâoĂč lâintroduction dâune inĂ©galitĂ© originelle, dâune diffĂ©rence spĂ©cifique qui engendre une dĂ©pendance de lâun envers lâautre, une dĂ©pendance qui tend Ă les rapprocher 22 Câest mĂȘme peut-ĂȘtre le devoir de chacun. On trouve en effet cette notion dans la formule talmudique qui Ă©nonce que Tout IsraĂ«l est liĂ© », câest-Ă -dire que tous les Juifs sont liĂ©s les uns aux autres, responsables les uns des autres â littĂ©ralement, la formule hĂ©braĂŻque dit dâailleurs, pour souligner le rapport dâ unitĂ© » entre les uns et les autres Tout IsraĂ«l sont liĂ©s lâun Ă lâautre. » 23 TraitĂ© Berakhot 61a. 24 Ibid. 25 LĂ©vinas E., Du sacrĂ© au saint, op. cit., p. 142. lâun de lâautre26. Cependant, comme le prĂ©cise LĂ©vinas, il fallait une diffĂ©rence qui ne compromette pas lâĂ©quitĂ© ». Il fallait donc une dĂ©pendance liĂ©e Ă un aspect secondaire de leur humanitĂ©. La diffĂ©rence sexuelle joue ce rĂŽle. Câest lâopĂ©ration dâ [âŠ] une diffĂ©rence de sexe ; et, dĂšs lors, une certaine prééminence de lâhomme, une femme venue plus tard et, en tant que femme, appendice de lâhumain. »27 Ainsi, le point de dĂ©pendance Ă©tant sexuel, câest-Ă -dire, selon la version qui tient que cĂŽtĂ© » signifie queue », secondaire par rapport Ă lâhumain, il ne remettrait pas en cause lâĂ©gale participation de lâun et de lâautre Ă lâhumanitĂ©. Pour celui qui dit queue », il existerait bien une dĂ©pendance de la femme par rapport Ă lâhomme, mais cette dĂ©pendance se situerait Ă un niveau infrahumain, câest-Ă -dire Ă un niveau simplement physiologique et psychologique, et sa fonction serait la facilitation dâune vie commune. Cependant, quant Ă leur humanitĂ©, en tant quâesprits ou ĂȘtres pensants et donc abstraction faite de leurs caractĂ©ristiques sexuelles, ils conserveraient une Ă©gale nature. Autrement dit la hiĂ©rarchie qui les relierait Ă©tant secondaire, ils pourraient justement vivre, sereinement, un Ă©change humain en rĂ©elle Ă©galitĂ©. La lecture de ce passage de la Guemara par Emmanuel LĂ©vinas procĂšde donc de trois thĂšses principales lâĂ©galitĂ© de valeur entre lâhomme et la femme, soulignĂ©e par la procĂ©dure de crĂ©ation de la femme Ă partir de la personne humaine ainsi que par lâidĂ©e dâun des deux contradicteurs de dire quâils Ă©taient au dĂ©part deux visages » ; le caractĂšre secondaire et infrahumain de la diffĂ©rence sexuelle ; la nĂ©cessitĂ© de la hiĂ©rarchie sexuelle ou de la dĂ©pendance pour asseoir une relation stable entre lâhomme et la femme Ă un niveau proprement humain, celui de la relation entre 3. Les objections Nous formulerons plusieurs objections Ă la lecture de LĂ©vinas 1. LâidĂ©e que la diffĂ©rence entre lâhomme et la femme puisse ĂȘtre une diffĂ©rence secondaire, inessentielle, fait difficultĂ©, non seulement en tant que telle, mais surtout par rapport Ă lâenseignement du Talmud et du texte biblique. Cette idĂ©e Ă©tablit en effet que le lien hommefemme, au sens de masculin et fĂ©minin, est une caractĂ©ristique qui met en relation les ĂȘtres de sexes opposĂ©s par lâintermĂ©diaire dâune attirance triviale, voire vulgaire le dĂ©sir, en tant que recherche Ă©goĂŻste du plaisir. E. LĂ©vinas commente ainsi ce type de relation homme-femme Ils ont autre chose Ă faire quâĂ roucouler [âŠ] La relation libidineuse par elle-mĂȘme ne contiendrait pas le mystĂšre de la psychĂ© humaine. »29 Le rapport entre masculin et fĂ©minin en tant que tel est ici compris comme cette attraction instinctive ou pulsionnelle dite libidineuse », qui agit sur les ĂȘtres mais qui, par elle-mĂȘme, est triviale et dĂ©gradante pour lâhumanitĂ© de lâhomme. Elle sâapparente Ă lâinstinct sexuel animal. Elle procĂšde comme une force naturelle aveugle, purement physique, visant une 26 Notons que cette explication, selon laquelle la femme a Ă©tĂ© créée Ă partir dâune partie de lâhomme » plutĂŽt quâindĂ©pendante dâemblĂ©e, pour Ă©viter une indĂ©pendance radicale gĂ©nĂ©ratrice de conflits et pouvant mener Ă une sĂ©paration complĂšte entre les deux ĂȘtres sexuĂ©s, est une explication traditionnelle. LâoriginalitĂ© de LĂ©vinas consiste Ă dire ici que le critĂšre de la dĂ©pendance, la diffĂ©rence sexuelle, est secondaire. 27 LĂ©vinas E., Du sacrĂ© au saint, op. cit., p. 142. 28 Dâautres rĂ©flexions sont jointes Ă celles-ci dans lâarticle de LĂ©vinas, mais elles ne font quâencadrer de façon pĂ©riphĂ©rique cette lecture du dĂ©bat » de la Guemara. 29 LĂ©vinas E., Du sacrĂ© au saint, op. cit., p. 135 et p. 137. satisfaction sensible dĂ©nuĂ©e de toute construction dâun sens. Câest pourquoi elle est appelĂ©e Ă ĂȘtre surmontĂ©e. Et elle ne diffĂšre de lâinstinct animal que sur un point nĂ©gatif alors que lâinstinct animal produit la perpĂ©tuation de lâespĂšce, lâattirance sexuelle humaine est dĂ©tachĂ©e du souci de reproduction. Elle fonctionne comme une recherche exclusive de plaisir et vise lâapaisement de cette Ă©nergie libidineuse par les ressources de lâĂ©rotisme. Le seul enjeu de sens serait alors dans lâeffet de rapprochement des ĂȘtres que cet artifice peut induire. LiĂ©s les uns aux autres et dĂ©pendants sur ce plan naturel, ils pourraient par lĂ mĂȘme, mais sur un autre plan, nouer dâautres types de relations, plus Ă©laborĂ©es, plus spirituelles », câest-Ă -dire fondamentalement asexuĂ©es. Il apparaĂźt ainsi que les relations proprement humaines existeraient indiffĂ©remment et indistinctement entre hommes et femmes ou entre hommes. Au niveau humain ou ontologique, lâidĂ©al de relation entre lâhomme et la femme serait de mĂȘme nature que lâidĂ©al de relation entre hommes dans la fraternitĂ©, par exemple. Or, peut-on soutenir que la relation quâun homme entretient avec sa femme soit dâune nature Ă©quivalente Ă celle de la relation idĂ©alement fraternelle que ce mĂȘme homme entretiendrait avec ses collĂšgues de lâUniversitĂ©, hommes ou femmes ? Ce qui se dĂ©voile dans lâintimitĂ© sexuĂ©e du couple ne serait-il quâune dimension triviale ? Nâest-il pas pensable que dans la sexualitĂ© mĂȘme une dimension plus intĂ©rieure et plus fondamentale pour lâhumanitĂ© soit en jeu ? 2. Nous avons vu que la justification de la crĂ©ation de la femme serait de permettre un lien de dĂ©pendance qui fasse que lâattirance persiste entre les ĂȘtres, et qu'hommes et femmes ne vivent pas dans une Ă©galitĂ© tragique ayant pour effet de les opposer comme deux forces indĂ©pendantes lâune de lâautre. Lâhomme dominerait donc la femme Ă ce niveau de la relation pour le bien » du lien, câest-Ă -dire pour que la femme ne se rebelle pas, pour quâelle soit contrainte de lui rester soumise. Et cette soumission engendrerait une possibilitĂ© de relation autre, vraiment humaine, plus facilement rĂ©alisable quâentre hommes, car entre hommes la mĂȘme difficultĂ© ressurgirait du fait de lâĂ©galitĂ© premiĂšre. Cependant, sur un plan logique, il nâest pas Ă©vident que la dĂ©pendance rende la relation humaine entre lâhomme et la femme plus aisĂ©e. La domination pure et simple, si les individus nâaccĂšdent pas Ă la considĂ©ration de lâautre en tant quâ ĂȘtre humain », prĂ©sente tout autant un risque majeur, comme le montre la rĂ©alitĂ©. En quoi donc la dĂ©pendance favoriserait-elle une relation authentique, continue et stable, puisque celle-ci reposerait, comme toute relation humaine, sur la bonne volontĂ© des acteurs ? Ou encore, en quoi la perversion » de la relation serait-elle plus Ă mĂȘme dâentraĂźner une relation rĂ©elle que la relation intermittente ? Difficile de voir lĂ , dans cette dĂ©pendance hiĂ©rarchique, une promesse de plĂ©nitude. 3. Si la distinction homme-femme est pensĂ©e en rĂ©fĂ©rence au systĂšme pulsionnel, au dĂ©sir en tant que recherche de satisfaction et, ici30, comme recherche du plaisir, on ne voit malheureusement pas en quoi cela pourrait renforcer le lien dâun homme avec une femme. La psychanalyse, ici entendue comme science qui constate des faits humains, ne procĂšde-t-elle pas, dĂšs son origine, de cet Ă©tonnement face au fait difficilement comprĂ©hensible que, prĂ©cisĂ©ment, lâhomme ne trouve pas une satisfaction Ă sa mesure avec la femme. La cĂ©lĂšbre phrase de Lacan, il nây a pas de rapport sexuel chez lâĂȘtre parlant », qui propose une formulation dĂ©finitive et logique de ce constat, vise justement cette faille lâattirance, qui devait rĂ©unir, rate son but et le repousse tout autant. 4. Sur un autre plan, la difficultĂ© principale rĂ©side dans lâanalyse des textes 30 E. LĂ©vinas ne distingue pas, comme la psychanalyse le fait en dĂ©tail, la recherche du plaisir, la pulsion, la libido et le dĂ©sir. talmudiques et bibliques. Car ce passage de Berakhot 61a est lui-mĂȘme une interprĂ©tation des versets du dĂ©but de la GenĂšse, dans deux passages principalement. Or, lâĂ©conomie interne de ces versets, indĂ©pendamment du dĂ©bat talmudique qui y trouve sa source, est elle-mĂȘme trĂšs complexe. Il est cependant possible de dĂ©gager un Ă©lĂ©ment central dâune analyse de leur composition la distinction homme-femme chez lâhomme nâest pas du mĂȘme ordre que la distinction mĂąle-femelle chez les animaux, et il ne paraĂźt donc pas envisageable de comprendre cette distinction en termes dâinstinct ou de pulsion triviale, au sens dâune attirance sexuelle et Ă©rotique, ou dâun simple dĂ©sir dâaccouplement. En effet, un premier verset, Ă la fin du premier chapitre du texte biblique, Ă©nonce Dieu crĂ©a lâhomme Ă son image, Ă lâimage de Dieu Il le crĂ©a. MĂąle et femelle Il les crĂ©a. »31 Or, dans ce premier chapitre de la GenĂšse, les animaux ont dĂ©jĂ Ă©tĂ© créés et il nâest pas prĂ©cisĂ© Ă leur propos quâils furent créés mĂąles et femelles, car cette distinction nâest pas signifiante chez eux, alors quâelle est pourtant bien rĂ©elle et permet mĂȘme la perpĂ©tuation des espĂšces. Par consĂ©quent, lorsque le texte biblique prĂ©cise, Ă propos de la crĂ©ation de lâhomme, que mĂąle et femelle Il les crĂ©a », ce ne peut ĂȘtre simplement pour signifier quâil y a des hommes et des femmes et quâentre eux existe une attirance mais que celle-ci est secondaire. Et mĂȘme en supposant que secondaire », chez lâhomme, ne soit pas rĂ©ductible Ă insignifiant ou sans importance, il reste que la distinction mĂąle-femelle est mise en exergue de maniĂšre telle pour lâhomme quâil ne convient pas de la rabattre sur une attirance purement instinctuelle qui aurait sa fin en dehors dâelle-mĂȘme. Le sens simple du verset est bien que la distinction du masculin et du fĂ©minin est chez lâhomme une distinction Ă la fois radicale et essentielle, qui doit trouver une signification en tant que telle. Ce nâest quâĂ partir de ce point que le dĂ©bat » entre les deux AmoraĂŻm de la Guemara pourra prendre forme. 5. Sur un plan strictement talmudique maintenant, il apparaĂźt que lâinterprĂ©tation quâE. LĂ©vinas propose du dĂ©bat » talmudique manque de consistance. Car un dĂ©bat doit reposer sur un vĂ©ritable clivage. Or, pour notre philosophe, la lecture de celui qui dit visage » consiste Ă dire que lâhomme et la femme sont parfaitement Ă©gaux car ils furent dâemblĂ©e créés comme tels, lâun derriĂšre lâautre. Mais si lâon sâen tient Ă cette thĂšse, on ne peut pas dire quâil y ait rĂ©ellement dĂ©bat » avec lâautre partie, celle qui dit queue », car alors les deux Sages ne se situent pas sur le mĂȘme plan lâun â celui qui dit visage » â parlerait de lâĂ©galitĂ© de valeur entre lâhomme et la femme, tandis que lâautre â celui qui dit queue » â dâaccord sur ce point, parlerait de la distinction du masculin et du fĂ©minin comme dâune distinction secondaire dans lâordre de lâhumain. Finalement, on aurait plutĂŽt lĂ lâapprofondissement dâune thĂšse unique, en deux temps, qui Ă©tablit dâun cĂŽtĂ© la notion dâĂ©galitĂ© fondamentale, de lâautre lâaspect inessentiel de la dĂ©pendance. Il nây a lĂ aucune contradiction entre les deux temps. Dans la logique mĂȘme de LĂ©vinas, pour quâil y ait vraiment dĂ©bat », il aurait fallu que celui qui pense visage » soutienne en outre, Ă lâinverse de lâautre, que la distinction du masculin et du fĂ©minin nâa rien de secondaire ni de trivial, mais fait sens chez lâĂȘtre humain, câest-Ă -dire que la tension de la dualitĂ© sexuelle constitue un enjeu central de la condition humaine. Mais, comme on lâa dit, E. LĂ©vinas nâemprunte pas cette voie possible. Pourquoi ? Aurait-ce Ă©tĂ© trop osĂ© dâaccorder une centralitĂ© Ă la dimension sexuelle ? Ou encore, plus subtilement, est-ce la difficultĂ© Ă considĂ©rer une forme de dĂ©pendance non substantielle qui fait reculer devant le schĂ©ma dâune secondaritĂ© de la femme ? 6. Sur un plan esthĂ©tique, une objection fondamentale concerne le manque dâattention portĂ©e par Emmanuel LĂ©vinas aux termes employĂ©s par Rav et Shmouel le visage » ou la 31 GenĂšse 1, 27. queue ». Or ces termes sont prĂ©cis, signifiants et Ă©vocateurs. Lorsque lâon parle de visage », on se situe Ă un niveau de signification Ă mettre directement en rapport, comme le fait la guemara Ketouvot, avec le mariage. Du cĂŽtĂ© de la queue », la problĂ©matique est bien diffĂ©rente on doit au minimum prendre en compte lâaspect choquant et provocateur de la proposition, sans rĂ©duire lâimage Ă une une articulation mineure de lâhumain », ce qui est certes bien-pensant mais apparaĂźt comme le refoulement de ce qui fait pourtant le sujet mĂȘme du motif. 7. Un passage du TraitĂ© Ketouvot 8a â nous lâavons dĂ©jĂ mentionnĂ© â reprend de maniĂšre indirecte ce dĂ©bat entre Rav et Shmouel. Il paraĂźt indispensable de complĂ©ter lâanalyse de notre passage par cette autre discussion, qui traite des bĂ©nĂ©dictions du mariage et se conclut sur lâidĂ©e que la version retenue par la Guemara est celle du visage ». Ce choix, dans ce contexte, doit nous fournir une indication sur le sens de cette version. Dâautre part, dâaprĂšs cet autre passage de la Guemara, il faut comprendre que mĂȘme pour celui qui dit visage », le verset de GenĂšse 1, 27, mĂąle et femelle Il les crĂ©a », doit ĂȘtre compris comme faisant rĂ©fĂ©rence Ă une pensĂ©e premiĂšre du CrĂ©ateur », qui rĂ©alisa par la suite lâhomme sous une forme unique, androgyne, oĂč homme et femme Ă©taient collĂ©s dos Ă dos. Lâintention de les crĂ©er Deux nâa donc pas Ă©tĂ© immĂ©diatement rĂ©alisĂ©e32. Il faudrait donc en outre analyser ce que signifie ce dĂ©placement pour celui qui dit visage ». Nous rappelons que cette idĂ©e Ă©tait intervenue dans la guemara Berakhot Ă propos de lâenseignement de celui qui disait queue ». Sans doute lâopposition du Un et du Deux ne doit-elle pas ĂȘtre considĂ©rĂ©e de la mĂȘme façon pour Rav et pour Shmouel. Par ailleurs, si lâon suit de prĂšs le texte biblique lui-mĂȘme et son commentaire par Rachi, on constate que lâoption du visage » est beaucoup plus mise en exergue ; mĂȘme si lâoption queue » est possible, elle apparaĂźt plus Ă©loignĂ©e du sens contextuel. Et mĂȘme lorsque la difficultĂ© du verset exige un sens plus paradigmatique », dit midrachique », câest-Ă -dire plus Ă©loignĂ© du contexte, Rachi Ă©voque les deux visages », mais pas la queue » â en rĂ©alitĂ©, il laisse ouverte cette seconde possibilitĂ© de lecture, mais sans la rendre explicite, car justement aucune allusion nây est faite dans les termes des versets bibliques. Nous indiquons ces Ă©lĂ©ments pour montrer comment, selon les rĂšgles de la pensĂ©e talmudique, lâĂ©tude dâun sujet se construit, par confrontation de passages talmudiques et en contrepoint du texte biblique. Ignorer ce mode dâapproche risque de faire perdre de vue la pensĂ©e des Sages. 8. Enfin, Emmanuel LĂ©vinas, dans sa lecture talmudique, nâinsiste que sur les idĂ©es philosophiques » contenues dans les deux options visage » ou queue ». La dimension dâinjonction pratique est absente de son analyse. Dâabord, cela limite la comprĂ©hension possible du dĂ©bat ». Mais en outre, ne pas apprĂ©hender le texte biblique sous sa forme de prescription et dâexigence pratique pose une difficultĂ© majeure. Sâil y a une pensĂ©e talmudique, celle-ci est tournĂ©e vers lâaction, la concrĂ©tisation. Laisser penser que la controverse nâest que philosophique serait trompeur. Par exemple, lorsque E. LĂ©vinas Ă©tablit que lâidĂ©e qu'hommes et femmes sont Ă©gaux est l'un des enjeux fondamentaux de ces textes, il ne montre pas en quoi cela est pensĂ© comme un enjeu pratique. Certes, il veut prouver que le texte biblique, et donc le CrĂ©ateur, puis les rabbins et la tradition juive ne sont pas misogynes â ce qui aurait pu ne pas ĂȘtre Ă©vident Ă la lecture naĂŻve des versets. Mais rectifier une mauvaise lecture possible, ou la prĂ©venir, ne saurait suffire Ă rendre compte du dĂ©bat » 32 Câest la maniĂšre dont Rachi lira le passage. Les Tossefot commentateurs mĂ©diĂ©vaux du Talmud, figurant comme Rachi dans les Ă©ditions courantes, au contraire, proposeront une lecture oĂč celui qui dit visage » nâa pas besoin dâintroduire la distinction en question pensĂ©e premiĂšre du CrĂ©ateur » dâun cĂŽtĂ©, action concrĂšte » de lâautre. talmudique. 4. Proposition de re-lecture Nous proposerons donc une autre lecture de la controverse, qui puisse intĂ©grer ces donnĂ©es. Commençons par reprendre les termes employĂ©s deux visages » dâun cĂŽtĂ©, la queue », de lâautre. Dire que la femme a Ă©tĂ© créée Ă partir de la queue » de lâhomme, voilĂ qui est pour le moins osĂ©, choquant mĂȘme. Câest de lĂ que nous devons partir. Que peut signifier la queue » ? Trois choses au moins. PremiĂšrement, cela indique que la femme est un ĂȘtre dont lâessence dĂ©pend entiĂšrement de lâessence de lâhomme. Au dĂ©part, elle ne semble justement pas avoir de visage indĂ©pendant, câest-Ă -dire dâidentitĂ© propre. Tout son ĂȘtre va ĂȘtre tirĂ© de lâhomme et bĂąti »33, dit le verset biblique, par rapport Ă lui. En ce sens dĂ©jĂ , la distinction homme-femme est plus radicale que la distinction secondaire envisagĂ©e par E. LĂ©vinas. DeuxiĂšmement, la queue » est cette partie du corps animal qui prĂ©cisĂ©ment manque » chez lâhomme. Par consĂ©quent, la femme serait ainsi construite Ă partir de la transformation de la part animale de lâhomme. En un sens, câest donc la femme qui permet Ă lâhomme dâaccĂ©der Ă son humanitĂ© vĂ©ritable, de sortir de lâanimalitĂ©, et ce, au niveau du corps. Mais en mĂȘme temps, on peut dire quâen tant que la femme est comme la trace de la part animale de lâhomme, le risque est toujours prĂ©sent dâune relation encore animale », justement â en laissant pour le moment cette notion encore indĂ©finie. Si lâon nomme maintenant animalitĂ© » lâĂ©tat de lâĂȘtre dans sa complĂ©tude inconsciente, ou dans sa pesanteur inconsciente, lâĂȘtre-lĂ de lâĂȘtre, nous pourrions dire que le rapport de lâhomme Ă la femme peut ĂȘtre envisagĂ© Ă la fois comme reste de cette part inconsciente de dĂ©sir en tant que pulsion narcissique, ou fantasme de lâUn, mais aussi comme dĂ©passement de cette part du dĂ©sir, en tant que relation duelle, au-delĂ du moi-Un, car la femme aura Ă©tĂ© ce qui a justement rendu possible lâaccĂšs de lâhomme Ă lâhumanitĂ©, en lui supprimant la queue », c'est-Ă -dire la complĂ©tude animale. TroisiĂšmement, Ă un niveau plus mĂ©taphorique, la queue » ressemble Ă lâorgane sexuel, mais sous une forme sinueuse. Le serpent en est lâimage animĂ©e. Câest-Ă -dire que la droiture, qui est comme la trace de lâabsolu dans le dĂ©sir car elle est la forme minimale du non-naturel â en effet, le trait droit, inexistant dans la nature, peut donc reprĂ©senter a minima ce qui distingue lâhumain au sein du monde naturel, en a Ă©tĂ© affaiblie et quâelle ressurgit sous la forme de lâidentification au mouvant, Ă lâĂȘtre et, par suite, Ă lâimage de la toute puissance chaotique, de la transgression et, finalement, de la mort. DĂšs lors, on comprend que lâenjeu du rapport Ă la femme est similaire Ă celui du rapport Ă la jouissance, ou connaissance », et Ă lâexpĂ©rience de la faute. Ainsi, celui qui dit queue » considĂšrera que la relation hommefemme, loin dâĂȘtre seulement un moyen pour faciliter les relations humaines dĂ©sexualisĂ©es, constitue un enjeu central de lâhumanitĂ© de lâhomme, en tant quâelle exige quâĂ travers sa femme, lâhomme se confronte Ă sa propre part dâ animalitĂ© », câest-Ă -dire de narcissisme, ou de dĂ©sir au sens large, pour la convertir en ce que nous appellerons ici la conjugalitĂ©34. Câest cette exigence de conjugalitĂ© qui est lisible dans le verset de GenĂšse 1, 27 â Ă lâimage de Dieu Il le crĂ©a. MĂąle et femelle Il les crĂ©a. » â ainsi que dans la complexitĂ© textuelle du 34 Nous reprenons ici le terme proposĂ© par Ăric SmilĂ©vitch dans un texte non publiĂ©, intitulĂ© Une chair une. chapitre 2, qui dĂ©bute par Le Dieu Souverain dit il nâest pas bon que lâhomme soit seul »35 et se termine au verset 24 par Câest pourquoi lâhomme abandonnera son pĂšre et sa mĂšre, il sâattachera Ă sa femme, ils seront une chair une. » Cette exigence est explicitement dĂ©finie dans un autre passage du Talmud, TraitĂ© Yevamot 62b, oĂč lâon apprend quâun homme a lâobligation de vivre avec une femme », en dehors de toute autre nĂ©cessitĂ©, par exemple celle d'avoir des enfants. Cela signifie que la spĂ©cificitĂ© de la relation homme-femme accomplie, en tant quâhumaine, nâa rien de commun avec les relations humaines entre hommes, ou entre femmes. Câest la confrontation dâun homme avec une femme et, Ă cette occasion, le travail de mise Ă lâĂ©preuve de son dĂ©sir qui doivent lui faire accomplir sa propre humanitĂ©. Lâenjeu est donc prĂ©cisĂ©ment de hisser la relation homme-femme en tant que telle au-delĂ de la simple relation dâobjet ou de satisfaction du manque Ă ĂȘtre », dans une confrontation qui sâappellera Adam, humanitĂ©, Ă lâimage de Dieu. Pour celui qui pense queue », le problĂšme de lâintention premiĂšre du CrĂ©ateur de les crĂ©er immĂ©diatement Deux mais de lâavoir fait dâabord Un peut ĂȘtre compris dâaprĂšs le principe selon lequel sof maassĂ© be maâhchava tĂ©khila »36 â la fin de lâacte est prĂ©sente dans lâintention ». Ainsi, le projet primordial de les crĂ©er Deux est en rĂ©alitĂ© le but Ă rechercher. Lâhomme pourrait avoir tendance Ă rester figĂ© Ă lâintĂ©rieur de son propre dĂ©sir, de sa propre satisfaction. Câest aussi cela que lâon appelle animalitĂ© » ou narcissisme. Le but est que l'homme accĂšde, grĂące Ă une femme, au Deux, Ă une vie qui intĂšgre lâau-delĂ de son propre dĂ©sir, mais Ă partir de la problĂ©matique de son dĂ©sir sexuel, sans quâil soit confrontĂ© Ă un principe de rivalitĂ©. LĂ est peut-ĂȘtre le point central le rapport homme-femme serait donc le rapport humain par excellence, nĂ©cessairement sexuĂ©, dĂ©gagĂ©, dâun cĂŽtĂ©, du narcissisme et du fantasme de lâunitĂ© animale de lâĂȘtre, et de l'autre, de la nĂ©gation comme de la rĂ©pĂ©tition de soi, Ă travers un autre homme. Ainsi, la rencontre avec un semblable ne pourrait logiquement intervenir que dans un second temps, une fois Ă©laborĂ©e la relation de lâhomme Ă sa propre humanitĂ©, sous la forme de lâĂȘtre sexuellement diffĂ©rent. Car pour reconnaĂźtre en son semblable un ĂȘtre qui ne soit pas un rival, il faudrait auparavant pouvoir sâĂȘtre constituĂ© comme sujet, comme Adam, câest-Ă -dire assumer le Deux du rapport homme-femme, ou la distinction sexuĂ©e comme fond essentiel de lâhumain. Dans ce contexte lâenjeu, on le voit, nâest pas dâĂ©tablir une Ă©galitĂ© entre lâhomme et la femme, mais une relation qui soit fondatrice de lâidentitĂ© humaine en tant que telle. Quel est donc le dĂ©bat avec celui qui dit deux visages » ? Pour lui, lâenjeu de la crĂ©ation de la femme nâest pas de sortir du fantasme de lâUn. LâhumanitĂ©, pour lui, est dâemblĂ©e pensĂ©e comme double et duelle deux visages, deux modes dâĂȘtre. Lâexigence nâest pas la constitution de soi dans le Deux au-delĂ du Un, mais la constitution de lâhumanitĂ© comme telle Ă travers la conjonction, le face Ă face et la prĂ©sentation des deux visages, câest-Ă -dire des deux maniĂšres dâĂȘtre humain. Lâenjeu, ici, nâest pas le passage de lâanimal » Ă lâhumain mais, au sein de lâhumain, le positionnement diffĂ©rentiel des visages lâun face Ă lâautre, lâheureuse conjonction des deux faces. La femme incarne ici une dimension singuliĂšre qui nâest pas simplement la limite de la fonction narcissique du dĂ©sir humain, mais un visage en soi. DĂšs lors, la conjugalitĂ© a aussi pour enjeu lâunification des faces, non pas au sens oĂč elles se fondraient en Un ĂȘtre impossible, mais au sens de leur positionnement face Ă face, câest-Ă -dire dans la possibilitĂ© de leur regard mutuel assumĂ©. LâunitĂ© effective qui rĂ©sulterait de lâeffort de conjonction de lâhomme et de la femme serait en un sens accompli de façon extĂ©rieure Ă eux dans lâenfant, 35 GenĂšse 2, 18. 36 Extrait du poĂšme Lekha dodi » chantĂ© le vendredi soir pour accueillir le Chabbat. qui rĂ©alise lâunitĂ© des deux37, unitĂ© rĂ©elle, au sens oĂč justement elle advient comme un Ă©vĂ©nement qui les dĂ©passe tous deux, qui leur arrive. LâunitĂ© du Deux est alors bien le sens vĂ©ritable de ce Deux, mais accompli comme au-delĂ , comme rĂ©el, câest-Ă -dire comme advenant de lâextĂ©rieur et Ă©chappant au fantasme, comme si la vĂ©ritĂ© Une du Deux nâĂ©tait ici vĂ©cue que comme Ă©vĂ©nement. Aussi, pour celui qui dit deux visages», la pensĂ©e premiĂšre du CrĂ©ateur » de faire deux ĂȘtres sĂ©parĂ©s puis la rĂ©alisation effective » de les avoir dâabord faits dans un ĂȘtre Ă deux visages, androgyne, lâhomme et la femme collĂ©s dos Ă dos, signifie donc autre chose que pour celui qui entend queue ». Lâenjeu nâest pas simplement le passage logique du moi au Deux, du dĂ©sir Ă la conjugalitĂ©, mais, peut-ĂȘtre, de donner Ă lâexigence de conjugalitĂ© une chair, une vie celle de lâexercice du dĂ©sir. Au sein de la conjugalitĂ©, la problĂ©matique sexuelle nâest plus dâordre narcissique, elle ne constitue plus la dimension fantasmatique de lâĂȘtre comme pour celui qui dit queue », mais la dimension dâeffectivitĂ© et de concrĂ©tisation du lien entre les deux ĂȘtres. 5. Conclusion Finalement, la thĂšse lĂ©vinassienne concernant la fonction inessentielle de la diffĂ©rence sexuelle sâest rĂ©vĂ©lĂ©e ĂȘtre pour nous un prĂ©supposĂ© erronĂ© du philosophe. Car cette vision, quelle que soit la version envisagĂ©e par la Guemara, visage » ou queue », nâest lisible ni dans le texte biblique, ni dans le texte talmudique. Ce prĂ©supposĂ© apparaĂźt comme un reste dâidĂ©ologie puritaine, qui voit dans la sexualitĂ© une figure nĂ©cessaire de lâĂ©goĂŻsme trivial et charnel, donc, au fond, de la faute ». LĂ rĂ©side une part du malentendu relatif aux lectures talmudiques », Ă la diffĂ©rence de lâĂ©tude talmudique. Certes, ces lectures » sont soucieuses de dĂ©gager la dimension proprement thĂ©orique de la tradition juive, avec respect et considĂ©ration, mais sans adopter les principes de lâĂ©tude juive. Ces principes requiĂšrent un investissement complet de la personne et un abandon des approches partielles et contingentes, par pur goĂ»t intellectuel ou par besoin obscur de se ressourcer dans une tradition trĂšs sensĂ©e ». Ils exigent que lâon reconnaisse la complexe et profonde radicalitĂ© de pensĂ©e des Sages et que lâon assume de sâen faire le rĂ©ceptacle zĂ©lĂ©. Ainsi apprend-on, Ă leur Ă©cole, Ă penser soi-mĂȘme et se libĂšre-t-on des prĂ©jugĂ©s trompeurs, des discours bien-pensants et du confort vain des positions Ă©tablies, pour sâattacher Ă ce que lâon appelle le joug de lâĂtude » et tenter dâapporter sa contribution, sa part », au monde de la Torah dâIsraĂ«l. 37 Rappelons que sur le verset de GenĂšse 2, 24, ils seront une chair une », Rachi commente Chair une câest lâenfant, formĂ© par les deux, et par lĂ ils sont faits une chair une. »
EUwLS6. 6oz1n041jk.pages.dev/3886oz1n041jk.pages.dev/5986oz1n041jk.pages.dev/3806oz1n041jk.pages.dev/2926oz1n041jk.pages.dev/2396oz1n041jk.pages.dev/1926oz1n041jk.pages.dev/2996oz1n041jk.pages.dev/154
la femme est la seconde faute de dieu